L’IESH, l’institut européen des sciences humaines traverse sa plus grave crise depuis sa création. Perquisitions, gel des avoirs et accusations d’islamisme et de proximité avec les Frères musulmans : retour sur une affaire qui créé la controverse..
Un institut pionnier au cœur de la Bourgogne
Fondé en 1990 à Saint-Léger-de-Fougeret, près de Château-Chinon dans la Nièvre, l’Institut européen des sciences humaines (IESH) s’est imposé comme l’un des principaux centres de formation d’imams en Europe. Installé dans un coin reculé du Morvan, sur les anciennes terres électorales de François Mitterrand, l’établissement accueille aujourd’hui 260 étudiants venus de toute l’Europe pour étudier la théologie islamique, les sciences religieuses et la langue arabe.
L’institut, né d’une initiative de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF, devenue Musulmans de France), s’est donné pour mission de former des cadres religieux « capables d’enseigner et de prêcher » tout en développant « une compréhension complète des réalités socio-culturelles dans lesquelles ils évoluent ». Pendant plus de trois décennies, l’IESH a revendiqué son ancrage local et son ouverture au dialogue interreligieux.

4 décembre 2024 : la perquisition qui change tout
Le calme du Morvan est rompu le 4 décembre 2024 par une « grosse opération policière de perquisition », selon les termes de la procureure de Nevers, Anne Lehaître. L’enquête, menée par la police judiciaire, porte sur des soupçons de blanchiment d’argent, d’abus de confiance et de non-respect de l’obligation de déclaration de financements étrangers, inscrite dans la loi contre le « séparatisme » de 2021.
Les investigations se concentrent notamment sur d’éventuels financements en provenance du Qatar. La procureure qualifie l’opération de « fructueuse » sans donner davantage de précisions, précisant que l’enquête ne fait que « débuter ». L’opération s’est déroulée « de manière apaisée » selon l’IESH, qui fait état de la saisie de « matériel informatique et des liquidités nécessaires au fonctionnement quotidien de l’institut ».
Un problème bancaire chronique
Face aux questionnements sur les importantes liquidités saisies, l’IESH avance une explication singulière : l’institut rencontre depuis des années « une problématique majeure d’accès à un compte bancaire ». Cette difficulté, « bien connue des autorités compétentes », a conduit l’établissement à fonctionner sans compte, une situation que la Banque de France elle-même n’a pas pu résoudre.
Larabi Becheri, le doyen de l’institut, précise que l’établissement « se finance à 85% grâce aux cotisations, le reste provenant de dons de particuliers ». Il assure qu’aucun don étranger n’a été reçu depuis la loi de 2021, « le dernier, du Qatar, date de 2018, et il est déclaré ».
Le rapport qui met le feu aux poudres
Quelques mois plus tard, en mai 2025, un rapport gouvernemental sur l’islamisme politique et les Frères musulmans vient attiser les polémiques. Ce document, commandé par Emmanuel Macron en janvier 2024 et rendu public le 21 mai 2025, met en garde contre « une menace pour la cohésion nationale » et fait état d’un développement « par le bas » de l’islamisme qui « fait peser le risque d’une atteinte au tissu associatif et aux institutions républicaines ».
Le rapport épingle 139 lieux de culte affiliés aux Musulmans de France et 68 autres structures jugées proches de la mouvance islamique. L’IESH y est explicitement cité comme « l’une des principales institutions d’enseignement supérieur privé de la mouvance [frériste] en Europe », sans que les sources de cette affirmation soient détaillées publiquement.
16 juin 2025 : le gel des avoirs
C’est sur la base de ce rapport que les ministères de l’Intérieur et de l’Économie prennent, le 16 juin 2025, un arrêté conjoint gelant les avoirs financiers de l’IESH pour six mois. La mesure, fondée sur l’article L562-2 du code monétaire et financier, vise également Mohamed Karmous, l’un des fondateurs, et Saïd Bouhdifi, responsable du département du Coran.
Concrètement, aucun fonds ne peut plus être transmis à l’institut, et aucun euro ne peut entrer ou sortir sans autorisation exceptionnelle du Trésor public. L’IESH est financièrement à l’arrêt.
La riposte : « Ces accusations relèvent d’un fantasme »
Face à cette escalade, l’IESH multiplie les communiqués pour défendre sa réputation. Dans une déclaration transmise à France 3 Bourgogne, l’institut « exprime avec clarté sa position » :
« Notre mission est cultuelle et pédagogique, jamais militante ni idéologique. Nous ne servons aucune orientation politique, aucun courant militant, et encore moins des logiques d’entrisme ou de subversion. Ces accusations relèvent d’un fantasme éloigné de notre réalité quotidienne. »
L’établissement revendique sa « neutralité » comme « ligne directrice constante » et rappelle qu’il œuvre depuis plus de trente ans « dans un cadre académique rigoureux, respectueux des principes de la République et profondément ancré dans les exigences du vivre-ensemble ».
Les conséquences immédiates
Le gel des avoirs a des répercussions immédiates sur l’activité de l’institut. L’établissement annonce qu’il ne peut plus proposer ses formations en théologie musulmane, « en présentiel comme à distance ». Les 260 étudiants se retrouvent dans l’incertitude, et l’avenir de l’institution est suspendu aux décisions de justice.
La fédération Musulmans de France exprime sa « plus vive inquiétude » et sa « solidarité », dénonçant une « succession d’attaques ciblant des institutions éducatives musulmanes d’excellence » après la mise en cause du lycée Averroès. Elle évoque un « sentiment profond d’incompréhension, d’inquiétude et d’injustice parmi les citoyens de confession musulmane ».
Un contexte politique tendu
Cette affaire s’inscrit dans un contexte politique particulièrement sensible. Des personnalités comme Marion Maréchal ont fait de la dénonciation de l’IESH un cheval de bataille, l’accusant dans une vidéo militante d’être une « sulfureuse école coranique très proche des Frères musulmans » et un « point d’entrée de l’islamisme en France ».
Si le rapport gouvernemental ne provient pas directement de ces prises de position politiques, le climat qu’elles contribuent à créer peut influencer indirectement les décisions administratives et judiciaires.
Les voies de recours
L’IESH dispose de plusieurs options pour contester ces mesures. L’institut peut déposer un recours contre l’arrêté ministériel, même si cette procédure ne suspend pas automatiquement l’exécution de la décision. L’établissement propose également de « participer à un audit indépendant mené de manière neutre et transparente, sans influence politique ni a priori idéologique ».
L’institut maintient par ailleurs ses portes ouvertes annuelles et invite « tous les représentants politiques qui souhaiteraient le connaître mieux » à venir découvrir l’établissement.
Une affaire révélatrice des tensions contemporaines
Au-delà du cas particulier de l’IESH, cette affaire révèle les tensions qui traversent la société française sur la question de l’islam et de sa place dans la République. Elle pose des questions fondamentales sur l’équilibre entre sécurité nationale et libertés religieuses, entre vigilance légitime et stigmatisation, entre enquête judiciaire et procès médiatique.
L’issue de cette controverse aura valeur de test pour la capacité des institutions françaises à garantir une justice impartiale et un débat apaisé sur ces sujets sensibles. En attendant, dans le calme du Morvan, l’IESH continue d’affirmer que son seul message est « un message de paix et de fraternité, pour tous, sans distinction ».
Sources :
- Communiqués officiels de l’IESH (décembre 2024, mai 2025)
- Articles de presse : Le Monde, Libération, France 3 Régions
- Rapport gouvernemental « Frères musulmans et islamisme politique en France » (ministère de l’Intérieur, mai 2025)
- Déclarations du parquet de Nevers
- Arrêté ministériel du 16 juin 2025 (Journal officiel)